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samedi, 22 juin 2013 21:53

Vers la régionalisation de l'enseignement supérieur

Écrit par 

par Gilles LEBRETON,
vice-président du SIEL,
responsable SIEL pour la Normandie,
administeur du RBM

universiteEn France, les universités ne sont pas seulement des lieux de recherche et de diffusion du savoir. Elles ont aussi un rôle de structuration de la nation en offrant à tous les étudiants, où qu'ils se trouvent sur le territoire national, un égal accès à l'enseignement supérieur. En s'acquittant de cette mission de service public, elles contribuent puissamment à préserver le sentiment d'appartenance nationale sans lequel notre pays finirait par se dissoudre en de multiples communautés groupusculaires.

L'Etat a longtemps garanti la pérennité de cette mission, en les protégeant de l'appétit des régions. Puis la digue a cédé. Nicolas Sarkosy a ouvert la première brèche en plongeant les universités dans le marasme financier, par son absurde loi LRU du 10 août 2007 qui consacre le désengagement de l'Etat à leur égard. Plutôt que d'oser la colmater, François Hollande laisse aujourd'hui délibérément la brèche s'élargir en tirant la conséquence logique de la loi LRU : à défaut de pouvoir compter sur l'Etat, c'est vers les régions que les universités sont désormais priées de se tourner. Et tant pis pour le risque de fragmentation de l'identité nationale.

C'est le projet de loi Fioraso, voté le 28 mai 2013 par l'Assemblée nationale, qui consacre cette régionalisation de l'enseignement supérieur. Il affirme en effet que la « stratégie nationale » de l'enseignement supérieur et de la recherche est »élaborée et révisée tous les cinq ans » par l'Etat « après une concertation avec (…) les collectivités territoriales, en particulier les régions » (articles L111-6 et L123-1 du code de l'éducation). La stratégie nationale est donc partiellement régionalisée. Mais ce n'est pas tout. Le projet de loi Fioraso dispose également que « dans le cadre des stratégies nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche, la région définit un schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation qui détermine les principes et les priorités de ses interventions » (article L214-2). Non contente d'être partiellement régionalisée, la stratégie nationale se laisse donc compléter par des stratégies régionales.

Comme si ces deux concessions ne suffisaient pas, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a voté, le 12 juin 2013, un amendement amplifiant la portée de la seconde en précisant que ce n'est plus « dans le cadre des stratégies nationales » mais « en cohérence » avec elles que chaque région définit son chéma régional. L'explication de ce changement de termes est édifiante; elle est fournie par la sénatrice écologiste Corinne Bouchoux : « être cohérent, ce n'est pas entrer dans un cadre. Il faut laisser aux régions la possibilité de soutenir des domaines qui leur sont propres ». En clair : les stratégies régionales de l'enseignement supérieur et de la recherche pourront s'autonomiser par rapport à la stratégie nationale.

Du coup, l'ensemble de l'architecture du projet de loi Fioraso s'éclaire de façon singulière. S'il cherche à regrouper les universités en une trentaine de « communautés universitaires », c'est afin de les placer plus sûrement sous la coupe des régions. Chaque contrat communauté/Etat sera complété par un contrat d'objectifs avec la région concernée, tenant compte des spécialisations locales. Des blocs universitaires régionaux émergeront ainsi, et entreront en concurrence les uns avec les autres. Ils viseront prioritairement à favoriser le développement économique local, au détriment des impératifs d'égalité du service public national. Dans cette perspective, chaque université aura d'ailleurs un « vice-président territoire », spécialement chargé de maintenir un lien avec la région. A terme, l'indépendance des enseignants-chercheurs, et même leur statut de fonctionnaires d'Etat, seront remis en cause. Quant aux organismes de recherche nationaux, ils deviendront de simples agences de moyens au service des politiques définies par les schémas régionaux de l'enseignement supérieur.

Cette régionalisation de l'enseignement supérieur, si on la laisse se réaliser, finira par anéantir le service public national de l'enseignement supérieur. Il faut en prendre conscience pour réagir en préparant dès à présent, avec Marine Le Pen, une alternative permettant à la nation de continuer à disposer de son service public de l'enseignement supérieur. Car comme le disait Antoine de Saint-Exupéry, « l'important, ce n'est pas de prévoir le futur, c'est de le rendre possible »

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