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SIEL
Souveraineté, Identité Et Libertés
Viktor Orbàn, partisan d'une Europe des Nations
Réponses de M. Viktor Orbán, premier ministre, aux questions des parlementaires
Budapest, le 16 novembre 2015
Monsieur le Président,
Je ne suis moi-même pas sûr qu’il soit correct que je réponde aux questions. Le moment actuel est particulièrement grave, et le deuil nous invite encore à une certaine réserve. Dans le même temps, nous ne pouvons pas attendre, parce que nous ne savons pas si, en cas d’inaction de notre part, tout ce qui s’est passé vendredi dernier ne se représentera pas un jour ou l’autre. Il est donc tout de même préférable de parler et ne pas se limiter au deuil. C’est pourquoi je voudrais répondre d’abord à la réflexion de M. le député Schiffer (président du groupe du parti vert LMP, NdT). J’ai pu observer que lorsque l’on se trouve face à un grand problème, il existe un réflexe – que je pourrais qualifier, si vous le permettez, de mauvais réflexe – qui consiste à considérer que dans le monde moderne tout est interdépendant, que le problème est donc global, et s’il est global, alors on ne peut le résoudre que globalement, que dans cette globalité nous ne représentons qu’un élément, et tant qu’il n’y a pas d’accord au niveau de l’union ou au niveau du globe tout entier, eh bien nous n’avons pas grand’chose à faire. Je voudrais déclarer ici qu’il ne faut pas que la référence à la globalisation ait pour conséquence, dans nos débats, de nous faire prendre simplement acte que nous n’avons rien de spécial à faire, et que nous n’avons qu’à attendre la naissance d’une solution commune. C’est pourtant ce que nous avons fait dans l’Union européenne, depuis le premier attentat de Paris jusqu’à notre décision d’élever une barrière à la frontière hongroise. Nous nous sommes réunis, nous avons cherché des solutions communes, tout le monde disait que la solution ne pouvait être que commune, jusqu’au moment où nous avons osé faire remarquer que rien de commun n’était sorti de toutes ces rencontres. Chacun devenait donc obligé de faire ce qui lui incombait compte tenu de ses moyens, de ses capacités, de sa situation et des obligations qui en découlaient. C’est ce qu’a fait la Hongrie. C’est pourquoi, tout en acceptant votre raisonnement selon lequel le défi est par nature global, je pose la question de savoir où est notre place dans cette crise globale, quelles sont les obligations qui s’imposent à nous compte tenu de cette place, et j’affirme que notre devoir est d’exécuter ces obligations. Ce que les Hongrois peuvent faire hic et nunc doit être fait. C’est cette conviction qui guide l’action du gouvernement hongrois.
La seconde réflexion était également intéressante, qui consistait à dire que les services de renseignement doivent collaborer entre eux. Je n’en doute pas une seule seconde, mais je voudrais faire observer que la situation actuelle n’est pas le résultat du manque de collaboration entre les services de renseignement. Tout le monde l’avait déjà dit il y a des mois – comme je l’ai rappelé dans mon intervention liminaire –, il n’y avait aucun responsable de sécurité ou du renseignement en Europe – y compris les services hongrois, y compris les services allemands –, il n’y avait pas un seul chef de la police en Europe qui n’avait pas dit qu’il ne s’agissait pas de savoir s’il y aurait des actes terroristes, mais bien de savoir où et quand il y en aurait. Car il ne peut y avoir d’autre conséquence à tout ce qui arrive : c’était évident. Nous ne pouvons pas nous dédouaner, aucun responsable européen ne peut se dédouaner en disant qu’il n’était pas informé, parce les événements, les problèmes sont la conséquence nécessaire de la nature même de la migration, de l’arrivée massive, sans aucun contrôle ni maîtrise, d’hommes et de femmes provenant de zones de guerre dans notre monde pacifique. Pourquoi, que pensions-nous qui allait se passer, Mesdames et Messieurs? Par conséquent, en appelant de nos vœux la collaboration des services de police, de renseignement, de contrôle des frontières, ne nous berçons-nous pas nous-mêmes d’illusions, en nous faisant croire que c’est cela qui avait manqué pour écarter le danger ?
J’ai aussi entendu dire que la Hongrie est elle aussi «responsable». Je pense que la Hongrie est certainement responsable de beaucoup de choses, et je serai bien le dernier à affirmer que nous serions irréprochables, et je serai bien le dernier à dire que nous sommes irréprochables maintenant, alors que nous ne l’avons jamais été. Nous autres Hongrois sommes parfaitement conscients de nos responsabilités historiques, et nous sommes parfaitement conscients de nos capacités – pas seulement de nos vertus, mais aussi de nos carences –, mais je pose la question : est-ce vraiment dans la situation d’aujourd’hui, où nous avons été, à mes yeux, le seul pays qui a fait ce qu’il fallait et l’a fait à temps, est-ce vraiment maintenant que nous devons rechercher notre «responsabilité»? Quel drôle de réflexe d’auto-détestation! Pourquoi nous détesterions-nous ? Je ne prétends pas que l’opposition fasse notre éloge. Je ne prétends pas qu’elle déclare qu’il y a un gouvernement au sein de l’Europe qui a dit: retroussons nos manches et prenons la chose au sérieux. Je ne le prétends pas, parce que cela serait contraire à la nature de la politique partisane, mais tout de même: affirmer du côté de l’opposition que la Hongrie a une responsabilité dans ce qui se passe… Mais pourquoi détesterions-nous à ce point les Hongrois? Nous-mêmes? Quelle en est la raison? Quelle en est la raison? A ce stade, je suggère que compte tenu de la gravité de la situation, nous nous efforcions de pratiquer ensemble la vertu de la modération.
Je suis reconnaissant au représentant du Jobbik (parti d’extrême-droite, NdT) d’avoir rappelé que la sécurité n’est pas une question de politique partisane. Nous sommes tous d’accord là-dessus dans les bancs du gouvernement. Nous allons rechercher les possibilités de collaboration qui en découlent, lorsque ce sera nécessaire. Je voudrais me limiter à déclarer ici, maintenant, que le gouvernement hongrois prendra position de la manière la plus déterminée à la fois contre les entrées imposées – donc contre les quotas – et contre les renvois. Je voudrais faire savoir à tous les citoyens hongrois qu’ici, tant que ce gouvernement sera en place, il n’y aura ni quotas, ni renvois.
J’ai trouvé intéressante et précieuse la remarque du Parti Chrétien Démocrate (allié du Fidesz au parlement et dans le gouvernement, NdT) parce que – pas maintenant, parce que tout ce qui s’est passé est encore trop proche, mais un jour – il faudra aborder la question évoquée par M. le Député, et qui est la suivante : il ne s’agit pas de se demander ce qu’il adviendra de l’Union européenne – ce qui est évidemment aussi une question majeure –, mais de savoir ce qu’il adviendra de la civilisation européenne tout court. Cette réflexion nous ouvre sans aucun doute un horizon bien plus large. Il faudra parler – pas maintenant, mais un jour – de ce que sera devenue notre civilisation européenne au milieu et à la fin du XXI° siècle si cela continue comme cela. Et si nous lions cette question à celle des migrations, nous devons nous poser la question de savoir si une civilisation, quelle qu’elle soit, est capable ou non de subsister si les hommes et les femmes qui l’ont fait naître sont remplacés par d’autres. J’invite ceux que la réponse intéresse à étudier l’histoire des Etats-Unis d’Amérique. Mais c’est un autre débat, remettons-le à plus tard.
Mais permettez-moi, en revanche, de citer ici la phrase du président du groupe du Parti Socialiste, selon lequel ce sont les terroristes qui sont responsables du terrorisme. Je ne vois pas qui pourrait contester ici la justesse de cette affirmation. Sauf que cette question, ainsi posée, ne tient pas toute seule, elle est bancale, parce qu’il lui en manque une seconde : bien sûr, les responsables des actes terroristes sont les terroristes eux-mêmes, mais qui est responsable de notre protection? Nous-mêmes, bien sûr! Par conséquent, tout ce qui permet de minimiser le risque terroriste: la prévention, la dissuasion, la prévision, tout ce qu’il est possible de faire pour réduire le risque, tout cela relève de notre responsabilité. Et ceux qui, non contents de dire oui à l’immigration, sont même allés jusqu’à assurer le transport des migrants depuis les zones de guerre, ces dirigeants-là n’ont pas tout fait de ce que la protection des citoyens de l’Europe aurait exigé. C’est cela, la vérité.
Je sais que nous sommes encore proches de la période de deuil, et parler de responsabilité, surtout lorsqu’on a le sentiment de ne pas être concernés, n’est peut-être pas décent, mais cette question doit être posée tôt ou tard. Nous devons nous poser la question de savoir si ceux qui les ont amenés – car on ne les a pas laissés venir, je voudrais le répéter une nouvelle fois : les migrants aujourd’hui ne «viennent» pas en Europe, c’est nous qui envoyons des moyens de transport pour aller les chercher. Nous n’obligeons pas les Grecs à respecter la Convention, les migrants arrivent chez eux, puis nous envoyons des moyens de transport, et le seul débat en cours au sein de l’Union européenne est celui de savoir comment nous pourrions leur assurer les conditions de voyage les plus sûres et les plus humaines, alors que nous ne savons même pas si ceux que nous transportons ainsi ne sont pas les terroristes qui passent ensuite à l’acte à Paris. Je pense donc que nous devons, avec sang-froid et modération, nous poser la question de savoir si les dirigeants de l’Europe ont bien fait tout ce qui était en leur pouvoir pour assurer la sécurité des citoyens européens, même s’ils ne sont évidemment pas responsables eux-mêmes des actes terroristes. Comme l’a bien dit le représentant du Parti Socialiste, ce sont les terroristes qui sont responsables de leurs actes. Mais cela ne veut pas dire que notre propre responsabilité soit nulle. Nous devrons en reparler plus tard.
Mais il y a ici un autre problème plus vaste, M. le Député, que votre intervention a peut-être mis en évidence: avons-nous affaire à un accident, c’est-à-dire tout ce qui s’est passé n’est-il qu’un dysfonctionnement, un événement exceptionnel, ou s’agit-il d’un défaut systémique? En d’autres termes, n’est-il pas question ici – et cela non plus, je ne pense pas que nous puissions en débattre aujourd’hui, je ne veux pas employer ici de catégorisations idéologiques, parce que cela orienterait le débat dans une mauvaise direction – du fait suivant: la réflexion idéologique – qui a d’ailleurs toujours caractérisé le monde intellectuel européen – et les intellectuels européens ont toujours manifesté une forte et claire exigence de participer à la politique européenne et y ont fait entrer l’idéologie, reléguant au second plan les lois du pragmatisme et du bon sens. Ne devons-nous donc pas nous demander si cette approche n’a pas pris une place trop grande dans la politique européenne, et si une sorte de tendance suicidaire ne nous a pas saisis? Car comment peut-on appeler autrement – je me répète, et vous prie de m’excuser si je vous ennuie – une situation où nous nous trouvons en guerre avec la Syrie, plus précisément des puissances européennes, des Etats-membres de l’Union européenne sont en guerre avec le gouvernement syrien, nous exécutons des opérations militaires sur le territoire irakien, nous exécutons des opérations militaires en Afghanistan, et nous faisons entrer nous-mêmes dans nos pays pacifiques, depuis ces zones de conflit, des masses d’individus sans contrôle, sans identification, sans savoir qui ils sont, s’ils ont déjà manié les armes, s’ils ont déjà tué, s’ils sont membres d’une organisation terroriste quelconque, s’ils sont formés, sans que nous sachions rien de tout cela?! Comment l’appeler autrement: c’est une faute systémique. Une faute comme celle-là, on n’a pas le droit de la commettre, ce n’est pas une simple erreur, ce n’est pas une simple mauvaise décision. Et si c’est bien à un raisonnement fondamentalement faussé que nous avons affaire, et si nous abordons la question avec notre propre logique systémique, nous nous retrouvons inhibés face aux mesures à prendre contre cette menace. C’est pour cela que j’ai dit qu’à mes yeux une nouvelle politique européenne est nécessaire. Il ne s’agit pas de réparer le défaut par un meilleur échange d’informations, c’est tout notre mode de réflexion sur notre vie et sur notre avenir que nous devons changer. En clair : nous avons besoin d’une autre politique, parce qu’à défaut nous ne pourrons pas nous protéger nous-mêmes, et les tendances suicidaires de «l’intellectualisme» européen pendront le pas sur nous.
Bien entendu, je ne voudrais pas insister excessivement là-dessus, parce que je reconnais que la gauche européenne, y compris la gauche hongroise, a aussi raison quand elle dit qu’il n’y a pas de politique sans une certaine fraîcheur d’esprit, sans innovation intellectuelle, et il n’y a d’ailleurs pas non plus d’existence digne et productive sans ce type d’alimentation spirituelle. Mais l’Europe doit savoir que ce n’est pas la première fois qu’elle commet une faute. Si la politique européenne n’est pas assez forte, la voie s’ouvre à certaines tendances idéologiques, des idées folles font leur apparition sur le continent. Cela s’est déjà produit, ce n’est pas la première fois que nous y sommes confrontés. Cela s’est produit lorsque l’on a pensé – essentiellement des intellectuels européens – qu’il est possible de classer les Européens par ordre de race. Puis il est arrivé ce que nous savons: le national-socialisme et les théories racistes. Ensuite, de doctes Européens ont pensé que le bien suprême est l’égalité de tous les hommes. Cela a produit l’homo sovieticus et le stalinisme. Et aujourd’hui, certains pensent que nous serons pleinement heureux, que la vie sera belle en Europe si l’on supprime, si l’on «débranche» les Etats-nations. C’est là une idée au moins aussi folle que les précédentes. C’est pourquoi nous devons rester résolument attachés à l’Europe des nations et à une Union européenne organisée sur une base nationale. C’est notre mission, et c’est cette tâche que nous devrons accomplir dans les temps à venir.
Cabinet Office of the Prime Minister
Laïcité : le SIEL interpelle François Baroin
En novembre dernier, cinq jours après les attentats islamistes à Paris, l’AMF publiait un vade mecum qui indiquait que « la présence des crèches de Noël dans l’enceinte des mairies n’est pas compatible avec la laïcité ». En réponse à cette provocation une délégation du SIEL s’est rendue le Samedi 9 janvier dans la ville de Troyes pour défendre les traditions populaires françaises.
Des tracts ont été distribués sur le marché ainsi qu’une galette des rois offerte aux passants à l’occasion de l’Epiphanie. L’accueil des Troyens fut excellent, nombreux étaient ceux qui soutenaient notre initiative.
Une banderole a ensuite été déployée devant la Mairie : « Après la crèche, la galette des rois ? On l’interdit aussi ? ». Karim Ouchikh a ensuite prononcé un discours rappelant le laïcisme à géométrie variable exercé dans la municipalité de François Baroin entre laïcité agressive vis à vis des symboles chrétiens et laxisme évident à l’encontre des communautés musulmanes.
Le SIEL a ainsi exprimé sa fidélité à l’identité française à travers la défense de ses traditions et de ses racines chrétiennes.
Contre le matérialisme, le sursaut spirituel : la magnifique lettre de Saint-Exupéry
Cette lettre de Saint-Exupéry au général X est la dernière qu'il écrivit : le lendemain, 31 juillet 1944, il est abattu au combat au-dessus de la Méditerranée.
"Je viens de faire quelques vols sur P. 38. C’est une belle machine. J’aurais été heureux de disposer de ce cadeau-là pour mes vingt ans. Je constate avec mélancolie qu’aujourd’hui, à quarante trois ans, après quelques six mille cinq cents heures de vol sous tous les ciels du monde, je ne puis plus trouver grand plaisir à ce jeu-là. Ce n’est plus qu’un instrument de déplacement – ici de guerre. Si je me soumets à la vitesse et à l’altitude à mon âge patriarcal pour ce métier, c’est bien plus pour ne rien refuser des emmerdements de ma génération que dans l’espoir de retrouver les satisfactions d’autrefois.
Ceci est peut-être mélancolique, mais peut-être bien ne l’est-ce pas. C’est sans doute quand j’avais vingt ans que je me trompais. En Octobre 1940, de retour d’Afrique du Nord où le groupe 2 – 33 avait émigré, ma voiture étant remisée exsangue dans quelque garage poussiéreux, j’ai découvert la carriole et le cheval. Par elle l’herbe des chemins. Les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que celui de battre la mesure derrière les vitres à 130 kms à l’heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai qui est de lentement fabriquer des olives. Les moutons n’avaient pas pour fin exclusive de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l’herbe aussi avait un sens puisqu’ils la broutaient.
Et je me suis senti revivre dans ce seul coin du monde où la poussière soit parfumée (je suis injuste, elle l’est en Grèce aussi comme en Provence). Et il m’a semblé que, toute ma vie, j’avais été un imbécile…
Tout cela pour vous expliquer que cette existence grégaire au coeur d’une base américaine, ces repas expédiés debout en dix minutes, ce va-et-vient entre les monoplaces de 2600 chevaux dans une bâtisse abstraite où nous sommes entassé à trois par chambre, ce terrible désert humain, en un mot, n’a rien qui me caresse le coeur. Ca aussi, comme les missions sans profit ou espoir de retour de Juin 1940, c’est une maladie à passer. Je suis « malade » pour un temps inconnu. Mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie. Voilà tout. Aujourd’hui, je suis profondément triste. Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui n’ayant connu que les bars, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd’hui plongé dans une action strictement grégaire qui n’a plus aucune couleur.
On ne sait pas le remarquer. Prenez le phénomène militaire d’il y a cent ans. Considérez combien il intégrait d’efforts pour qu’il fut répondu à la vie spirituelle, poétique ou simplement humaine de l’homme. Aujourd’hui nous sommes plus desséchés que des briques, nous sourions de ces niaiseries. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n’est pas de victoire aujourd’hui, il n’est que des phénomènes de digestion lente ou rapide) tout lyrisme sonne ridicule et les hommes refusent d’être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Ils font honnêtement une sorte de travail à la chaîne. Comme dit la jeunesse américaine, « nous acceptons honnêtement ce job ingrat » et la propagande, dans le monde entier, se bat les flancs avec désespoir.
De la tragédie grecque, l’humanité, dans sa décadence, est tombée jusqu’au théâtre de Mr Louis Verneuil (on ne peut guère aller plus loin). Siècle de publicité, du système Bedeau, des régimes totalitaires et des armées sans clairons ni drapeaux, ni messes pour les morts. Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif.
Ah ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. Rien qu’à entendre un chant villageois du 15e siècle, on mesure la pente descendue. Il ne reste rien que la voix du robot de la propagande (pardonnez-moi). Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots.
Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources : les impasses du système économique du XIXe siècle et le désespoir spirituel. Pourquoi Mermoz a-t-il suivi son grand dadais de colonel sinon par soif ? Pourquoi la Russie ? Pourquoi l’Espagne ? Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes : hors des sciences de la nature, cela ne leur a guère réussi. Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme. Ca déborde le problème de la vie religieuse qui n’en est qu’une forme (bien que peut-être la vie de l’esprit conduise à l’autre nécessairement). Et la vie de l’esprit commence là où un être est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. L’amour de la maison -cet amour inconnaissable aux Etats-Unis – est déjà de la vie de l’esprit.
Et la fête villageoise, et le culte des morts (je cite cela car il s’est tué depuis mon arrivée ici deux ou trois parachutistes, mais on les a escamotés : ils avaient fini de servir). Cela c’est de l’époque, non de l’Amérique : l’homme n’a plus de sens.
Il faut absolument parler aux hommes.
A quoi servira de gagner la guerre si nous en avons pour cent ans de crise d’épilepsie révolutionnaire? Quand la question allemande sera enfin réglée tous les problèmes véritables commenceront à se poser. Il est peu probable que la spéculation sur les stocks américains suffise au sortir de cette guerre à distraire, comme en 1919, l’humanité de ses soucis véritables. Faute d’un courant spirituel fort, il poussera, comme champignons, trente-six sectes qui se diviseront les unes les autres. Le marxisme lui-même, trop vieilli, se décomposera en une multitude de néo-marxismes contradictoires. On l’a bien observé en Espagne. A moins qu’un César français ne nous installe dans un camp de concentration pour l’éternité.
Ah ! quel étrange soir, ce soir, quel étrange climat. Je vois de ma chambre s’allumer les fenêtres de ces bâtisses sans visages. J’entends les postes de radio divers débiter leur musique de mirliton à ces foules désoeuvrées venues d’au-delà des mers et qui ne connaissent même pas la nostalgie.
On peut confondre cette acceptation résignée avec l’esprit de sacrifice ou la grandeur morale. Ce serait là une belle erreur. Les liens d’amour qui nouent l’homme d’aujourd’hui aux êtres comme aux choses sont si peu tendus, si peu denses, que l’homme ne sent plus l’absence comme autrefois. C’est le mot terrible de cette histoire juive : « tu vas donc là-bas ? Comme tu seras loin » – Loin d’où ? Le «où» qu’ils ont quitté n’était plus guère qu’un vaste faisceau d’habitudes.
Dans cette époque de divorce, on divorce avec la même facilité d’avec les choses. Les frigidaires sont interchangeables. Et la maison aussi si elle n’est qu’un assemblage. Et la femme. Et la religion. Et le parti. On ne peut même pas être infidèle : à quoi serait-on infidèle ? Loin d’où et infidèle à quoi ? Désert de l’homme.
Qu’ils sont donc sages et paisibles ces hommes en groupe. Moi je songe aux marins bretons d’autrefois, qui débarquaient, lâchés sur une ville, à ces noeuds complexes d’appétits violents et de nostalgie intolérable qu’ont toujours constitués les mâles un peu trop sévèrement parqués. Il fallait toujours, pour les tenir, des gendarmes forts ou des principes forts ou des fois fortes. Mais aucun de ceux-là ne manquerait de respect à une gardeuse d’oies. L’homme d’aujourd’hui on le fait tenir tranquille, selon le milieu, avec la belote ou le bridge. Nous sommes étonnamment bien châtrés.
Ainsi sommes-nous enfin libres. On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissé libres de marcher. Mais je hais cette époque où l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrès moral ! Ce que je hais dans le marxisme, c’est le totalitarisme à quoi il conduit. L’homme y est défini comme producteur et consommateur, le problème essentiel étant celui de la distribution. Ce que je hais dans le nazisme, c’est le totalitarisme à quoi il prétend par son essence même. On fait défiler les ouvriers de la Ruhr devant un Van Gogh, un Cézanne et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. Voilà la vérité du peuple ! On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats Cézanne, les candidats Van Gogh, tous les grands non-conformistes, et l’on alimente en chromos un bétail soumis. Mais où vont les Etats-Unis et où allons-nous, nous aussi, à cette époque de fonctionnariat universel ? L’homme robot, l’homme termite, l’homme oscillant du travail à la chaîne système Bedeau à la belote. L’homme châtré de tout son pouvoir créateur, et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L’homme que l’on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les boeufs en foin.
C’est cela l’homme d’aujourd’hui.
Et moi je pense que, il n’y a pas trois cents ans, on pouvait écrire “La Princesse de Clèves” ou s’enfermer dans un couvent pour la vie à cause d’un amour perdu, tant était brûlant l’amour. Aujourd’hui bien sûr les gens se suicident, mais la souffrance de ceux-là est de l’ordre d’une rage de dents intolérable. Ce n’a point à faire avec l’amour.
Certes, il est une première étape. Je ne puis supporter l’idée de verser des générations d’enfants français dans le ventre du moloch allemand. La substance même est menacée, mais, quand elle sera sauvée, alors se posera le problème fondamental qui est celui de notre temps. Qui est celui du sens de l’homme et auquel il n’est point proposé de réponse, et j’ai l’impression de marcher vers les temps les plus noirs du monde.
Ca m’est égal d’être tué en guerre. De ce que j’ai aimé, que restera-t-il ? Autant que les êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d’une certaine lumière spirituelle. Du déjeuner dans la ferme provençale sous les oliviers, mais aussi de Haendel. Les choses, je m’en fous, qui subsisteront. Ce qui vaut, c’est certain arrangement des choses. La civilisation est un bien invisible puisqu’elle porte non sur les choses, mais sur les invisibles liens qui les nouent l’une à l’autre, ainsi et non autrement. Nous aurons de parfaits instruments de musique, distribués en grande série, mais où sera le musicien ? Si je suis tué en guerre, je m’en moque bien. Ou si je subis une crise de rage de ces sortes de torpilles volantes qui n’ont plus rien à voir avec le vol et font du pilote parmi ses boutons et ses cadrans une sorte de chef comptable (le vol aussi c’est un certain ordre de liens).
Mais si je rentre vivant de ce « job nécessaire et ingrat », il ne se posera pour moi qu’un problème : que peut-on, que faut-il dire aux hommes ?"
A. de Saint-Exupéry,
"Lettre au général X",
30 juillet 1944